Pour aller plus loin




1) A propos de l'Idios Kosmos, voici un article de Joris Mathieu

" Notre perception singulière du réel, notre idiotie personnelle, nous permet de concevoir des mondes qui répondent à une logique propre et qui échappent à l'acception commune. C'est ce qui arrive par exemple au paranoïaque ou au schizophrène lorsqu'il tisse des liens entre différents événements, différentes images, pour élaborer une construction dont l'équilibre précaire semble dément pour les autres. Cette lecture singulière de la vie, à force de se heurter à la définition commune, finit par jaillir avec violence. La fiction entre alors par effraction dans le réel, soulevant pour un instant le voile protecteur de la raison et plongeant la société dans un certain chaos.
Confrontés à ce choc, à l'affirmation violente de ce Cosmos qui échappe aux règles communément définies et qu'on ne peut raisonner, les témoins de la scène évoquent alors des extrapolations, des incohérences, des liens abusifs; on parle d'élucubrations, de pertes de repères, de déséquilibres et de déraison face à cette intrusion qui a bousculé nos certitudes et troublé le réel.

La frontière est pourtant ténue entre le koïnos et l'idios, et le point d'équilibre ou de bascule - selon le point de vue - fragile. Il me semble que la friction entre ces deux mondes devient encore plus prégnante dans nos sociétés, lorsque disparaissent les espaces où s'exprime l'intime et dans lesquels notre imaginaire peut trouver un écho. L'espace théâtral est un de ces lieux.
En construisant des micromondes autarciques ou autistes, en refusant le réel comme un absolu indiscutable, en proposant un regard outré sur nous-même, le théâtre peut devenir cet Hors-du-commun qui nous permet d'échapper à la pesanteur.
L'extra-ordinaire est donc notre territoire de jeu. C'est le monde intermédiaire, situé sous nos crânes, à l'endroit exact où communiquent nos hémisphères et où raison et passion se confondent, qu'il nous faut dessiner. Donner corps au cosmos tel qu'il nous apparaît dans la réalité ou dans nos rêves, lui inventer une nouvelle chair, voilà ce qui occupe nos journées. (...)

Qu'est-ce que l'espace théâtral, si ce n'est le lieu où sont convoquées les émotions? Qui nous questionne et met en danger notre équilibre? Il ne me semble pas qu'il soit pour autant question de psychanalyse. Et je ne vois pas quel théâtre produire, si ce n'est celui des rêves, celui qui résonne avec la sphère intime de chacun. (...)D'une certaine manière, la relative disparition de la dimension philosophique dans notre société, précipite l'intolérance de nos idées singulières(...)

J'ai le sentiment qu'une certaine terreur s'empare de nous, dès lors qu’on nous propose de filtrer notre réel et d’entrer dans la transcendance, aussi poétique soit-elle. Et c'est bien naturel car cette forme d’idéalisme - qui nous permet d’entrevoir que la réalité n’est qu’une pensée et n’a pas d’existence en soi - est en conflit direct avec le matérialisme qui organise notre quotidien. Voilà le danger qui nous menace. Nous le sentons, la bête est là et nous regarde. L'idios s'agite en nous et vient nous parler en rêve. Il construit ce contre-monde susceptible de nous dérouter et de nous faire quitter la communauté. Tel est ce que nous redoutons après le réveil : ne plus voir les choses comme avant.(...)

Il me semble aujourd’hui que le théâtre ne vaut que pour l'idios kosmos qui sommeille en chaque spectateur. Je veux dire qu'il faut recevoir le théâtre tel qu'on le voit et non tel qu'il est. Car en vérité, le théâtre n'existe pas. Il apparaît. Quant à l'artiste, il ne lui reste qu'à construire le langage pour que les yeux s'ouvrent autrement dans une longue parenthèse. 

«Ceux qui prétendent raconter sont à l'intérieur de tes rêves et non l'inverse. Les mots qu'ils utilisent, les mouvements qu'ils produisent, ne sont qu'une préparation à l'accouchement de tes rêves. Le Théâtre n'est que ce que tu as ressenti du Théâtre. Le reste n'est qu'un simulacre. Ne t’égare pas dans le simulacre. Regarde le théâtre, le seul, le tien."